Pendant toute la durée de la crise du Règlement XVII, les Franco-Ontariens sont aux prises avec deux adversaires puissants : la majorité anglo-protestante, bien entendu, qui souhaite que l’école tienne lieu d’outil d’intégration à la majorité linguistique et culturelle, et le clergé irlando-catholique. Ce dernier, craignant que le gouvernement provincial ne supprime le régime des écoles séparées (c’est-à-dire catholiques), pourtant protégé par l’article 93 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, s’applique à « angliciser » les catholiques de la province afin qu’ils paraissent moins « étrangers », en quelque sorte, aux yeux des loges orangistes, qui exercent une influence non négligeable sur la classe politique ontarienne. Ainsi, la volonté des Canadiens français de l’Ontario de maintenir un système d’écoles françaises (ou « bilingues ») dans le dessein de préserver leur particularisme linguistique, culturel et « national » ne peut que provoquer l’hostilité de certains de leurs coreligionnaires irlandais. L’affrontement entre les Franco-Ontariens et les irlando-catholiques déborde la sphère strictement scolaire et provoque aussi une lutte parallèle pour le contrôle des structures paroissiales et épiscopales de la province. Le conflit linguistique, qui se double donc d’un conflit religieux, en vient à menacer l’unité de l’Église et contraint le Saint-Siège à intervenir, bien malgré lui, dans le but de rétablir la concorde parmi ses ouailles canadiennes.

Un clergé divisé

les écoles bilingues de son diocèse. En 1911, il avait ordonné aux Soeurs de Saint-Joseph de Walkerville de cesser d’enseigner le français dans leurs écoles fréquentées en majorité par des élèves franco-ontariens. En 1912, Mgr Fallon laisse clairement savoir au ministre de l’Éducation de l’Ontario, R. A. Pyne, qu’il s’oppose à l’enseignement du français dans les écoles séparées. Son intervention est déterminante dans la mise en application, en 1912, du Règlement XVII par le gouvernement ontarien. En 1913, plusieurs clercs franco-ontariens sont convaincus que les évêques ontariens, à la suite de Mgr Fallon, cherchent à faire disparaître les écoles bilingues et favorisent l’assimilation des Franco-Ontariens. Dans le diocèse de London, les écoles séparées doivent se soumettre au Règlement XVII. Cependant, le clergé franco-ontarien se regroupe derrière l’ACFEO et organise la résistance dans quelques localités, par exemple à Belle Rivière.

L’intervention de Rome

Depuis la fin du XIXe siècle, Franco-Ontariens et irlando-catholiques se livrent une guerre sourde pour le contrôle des paroisses et des diocèses de la province. À London et à Sault-Sainte-Marie, les évêques Michael Francis Fallon et David Joseph Scollard comptent parmi les adversaires les plus acharnés des Canadiens français de l’Ontario. Fallon, en particulier, joue un rôle déterminant dans la décision du gouvernement provincial de proscrire, en 1912, l’usage du français dans les écoles « bilingues ». L’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFEO), qui assume sans tarder la direction de la résistance au Règlement XVII, cherche par tous les moyens de à rallier la hiérarchie vaticane à sa cause et à déjouer le lobby irlandais, qui tente d’en faire autant. Les dirigeants de l’Association interviennent à plusieurs reprises auprès des trois délégués apostoliques qui se succèdent au Canada pendant la durée du conflit scolaire (Peregrin Stagni, Pietro di Maria et Andrea Cassulo), en plus de faire parvenir au pape lui-même de nombreux mémoires et « suppliques », parfois par l’entremise de l’archevêque de Québec, le cardinal Louis-Nazaire Bégin. L’ACFEO développe un argumentaire fondé sur l’ancienneté de la présence franco-catholique au Canada et sur le rôle qu’ont joué, historiquement, les Canadiens français dans l’évangélisation du continent nord-américain. Surtout, l’anglicisation des Franco-Ontariens, répète-t-on jusqu’à plus soif, les conduira, à la longue, à apostasier, la langue étant « gardienne de la foi », comme le veut le vieil adage canadien-français.

En 1915, Mgr Stagni fait rapport au pape des divisions linguistiques et culturelles qui minent l’intégrité de l’Église ontarienne. Le prélat en impute la responsabilité presque totalement au parti canadien-français qui refuse, à son avis, de désarmer et de donner la priorité aux intérêts supérieurs de l’Église. La crise du Règlement XVII découle, explique-t-il, d’un conflit d’abord et avant tout linguistique et n’a rien de religieux au sens strict. Le Saint-Siège, s’il souhaite maintenir de bons rapports avec les autorités politiques du Canada anglais, devrait plutôt s’en tenir très loin. L’année suivante, Benoît XV publie l’encyclique Commisso Divinitus, laquelle exhorte les Franco-Ontariens et les irlando-catholiques à préserver l’unité de l’Église. Si le pape reconnaît aux premiers le droit de revendiquer démocratiquement leurs droits, il n’en conclut pas moins que le gouvernement ontarien peut légitimement chercher à obtenir que les écoliers de la province apprennent l’anglais. La lettre pontificale sème le désarroi parmi les milieux nationalistes canadiens-français du Québec et de l’Ontario, comme en témoigne la correspondance entre l’abbé Lionel Groulx, de Montréal, et le père oblat Rodrigue Villeneuve, d’Ottawa. L’ACFEO, l’épiscopat canadien-français et la classe politique du Québec reviendront à la charge à plusieurs reprises pour obtenir que Rome leur accorde son appui, mais toujours en vain.